Un banquet dans les règles de l'art

HDJ:

— Bon, je coupe mon talkie et vous contacterais si j’ai du nouveau. C’est pas le moment de relâcher notre vigilance, on déconnera une fois que les derniers invités seront rentrés chez eux. krzzzzz

Edgar coupa son émetteur et son récepteur avec un plaisir manifeste. Il le rebrancherait un peu plus tard afin de ne pas manquer d’information importante. Mais pour l’instant, il se passait bien de se faire chambrer sur sa pseudo relation platonique avec un duc obscur.

Il venait d’arriver dans la salle du banquet et avait un peu de retard. Il s’était rendu à la costumerie en urgence, afin de trouver un nouveau costume en urgence. L’ancien trois pièces avait fini cribler de balles lorsqu’Edgar s’était interposé entre la mariée et un groupe de terroristes. Il n’avait pas eu le temps de les charger et s’était contenté de jouer le rôle de gilet pare-balles, ce qui avait expliquait les douleurs qu’il avait à présent à la poitrine. Mais il devrait faire avec pour le reste de la soirée.

La salle du banquet était spacieuse et très bien décorée. Niveau grandiloquence, on était proche de la chapelle et il n’y avait pas besoin d’avoir une sensibilité artistique pour se sentir minuscule face à tant d’opulence. Ce n’était pas beau, mais magnifique. Le regard d’Edgar était charmé. Quant à son ouïe… Quelqu’un avait-il enfermé les meilleurs musiciens du monde pendant un an pour leur obliger à composer et préparer ces mélodies pour le mariage de Cupi-chan ? Avec une telle musique, les probabilités qu’une bagarre éclate dans la salle du banquet semblaient bien faibles. Pour ce qui était de la nourriture, Edgar ne pouvait se fier qu’aux expressions de pure jouissance qu’il voyait sur certains visages. Il avait été obligé de manger sur le pouce avant de commencer son service et son estomac gargouillait. Avait-on vraiment besoin de manger à Dreamland ? Il avait toujours considéré que non mais l’état de son organe digestif le faisait douter.

* Focus, Edgar, focus. La sécurité avant tout.* pensa-t-il.

Il jeta un coup d’œil à la ronde et repéra rapidement les mariés, ainsi que quelques autres invités de haut rang. D’autres gardes, comme Zéphyr, étaient également présents mais il n’y avait aucune trace de Clive. Ce n’était pas pour déranger le félin, bien au contraire : il n’était pas très emballé à l’idée de mettre les choses à plat avec le Voyageur Killer. Collaborer avec lui était faisable, mais cela s’arrêtait là. Il n’était pas fan des individus instables.

— Tout se passe bien, mesdames ?

Edgar s’était approché d’un duo de créatures féminines qui se faisaient très grossièrement draguer par leur voisin de table.

— Non, tout ne va pas bien, non, non et non ! Qui a eu l’idée de me mettre entre un pot de peinture et une petite frappe ? fit la première, une jeune femme à la chevelure aussi rousse que son décolleté était plongeant.
— Non mais allo, quoi, c’est moi que tu traites de pote de peinture, quoi ? Mais tu t’es vu, quoi ? C’est l’hôpital qui se fout du beurre karité ! fit « le pot de peinture », une créature du royaume du mariage nommée Kim B.
— ‘Azy, c’est moi qu’tu traites de p’tite frappe ? ‘Azy, tu m’as saoulé à trop juger aux apparences. J’suis un artiste et j’aime pas la violence. J’préfère l’amour à la guerre, t’as ‘u ? fit le lourdaud avant de faire un clin d’œil appuyé à Kim.
— Je vous prie de garder votre calme, n’oubliez pas que nous célébrons un mariage exceptionnel aujourd’hui. Toutefois, je souhaite que vous passiez un agréable moment aussi vais-je demander au serveur le plus proche de veiller à ce que vous ne manquiez de rien. Bonne soirée.

Son intervention ne calma pas vraiment les invités et il se prit quelques réflexions dans la gueule, mais il fit la sourde oreille. Au final, le plan de table était tellement foireux qu'il aurait mieux fait de ne pas s'en mêler car il était difficile de savoir où donner la tête.

N’ayant qu’une parole, Edgar glissa toutefois quelques mots à l’oreille d’un serveur mais douta que ses directives soient prises en compte. Ceci dit, il avait la conscience tranquille et déambula parmi les tables, attentif au moindre geste suspect.

Les mariés méritaient de passer un moment paisible après le drame de la chapelle.

Law fit signe à Edgar d’approcher et le morpheur obtempéra, puis l’écouta avec attention. Il était un peu surpris.

— Quand vous me dites de ne pas y faire attention, vous voulez dire que je ne dois pas intervenir ? demanda Edgar dans le vide puisque le roi avait déjà tourné les talons.

Super. Edgar était aux anges. Il n’avait fallu que quelques phrases à Law pour transformer la mine paisible du morpheur en gueule d’enterrement. Puis, comme si cela ne suffisait pas, une sorte de modèle miniature de cagole se ramena devant Edgar et commença à le séduire ouvertement. Elle croyait sérieusement qu’il avait le temps ou l’envie de batifoler ? Le jeune homme n’avait pas de temps à perdre avec elle mais il ne pouvait pas non plus rembarrer une invitée.

Il lança un regard très appuyé derrière l’épaule de la naine et pointa discrètement du doigt dans cette direction.

— Vous connaissez cette homme ? Il regarde votre fessier en se léchant les lèvres et c’est inacceptable.

Et hop, pendant que la naine tourne la tête, Edgar disparaît. Et si elle ne tourne pas la tête, il disparaît aussi. La reine des nains… La reine des nains faux, ouais !

Edgar décida de se rapprocher de Cupi-chan. Il voulait être au plus près de l’action afin de pouvoir intervenir le plus rapidement possible quand l’enlèvement aurait lieu. Il slaloma entre les tables et…

— Mais ça sent la weed ? déclara-t-il à voix haute.

La surprise lui avait fait exprimer ses pensées oralement et il jeta un coup d’œil aux alentours. Les invités continuaient leurs discussions et personne ne semblait l’avoir remarqué. Good. Il continua de se prendre pour un phare et de balayer les environs avec son regard, les narines retroussées à la recherche de l’origine de l’odeur. La drogue n’était clairement pas une substance acceptable dans un mariage, surtout de cette envergure.

C’est là qu’il vit le trio, ou plutôt le quatuor problématique. Un petit homme aux cheveux verts, Zéphyr, Hitlard et Nekonyan. Le jeune membre de la sécurité semblait aux prises avec le roi félin tandis que le gars aux cheveux verts était au sol et semblait inanimé. Hitlard était penché sur lui et semblait peu rassuré.

Était-il victime d’une overdose ? Vu l’odeur qu’il dégageait, c’était possible. Edgar fut là en quelques enjambées, prêt à le réanimer s’il le fallait. Une expérience à Borliday lui en avait appris davantage sur le secourisme, notamment que réanimer les cadavres ne fonctionnait pas.

Et là, ce fut le drame. Le gosse se transforma en bougie d’encens, parfum weed, tout en lâchant des expressions jamaïcaines. Je m’approche de lui et je comprends rapidement à l’expression du porcinet qu’il va falloir la jouer finot, comme avec la reine des nains, si je ne veux pas qu’il fasse de scandale.

— Bonjour, votre ami me semble plutôt mal en point. Je vais l’amener jusqu’au poste de secours afin qu’il soit pris en charge par des personnes compétentes.

Et surtout débarrasser tout le monde de cette saleté d’odeur de weed. Edgar attrapa le bras du jeune homme, décidé à l’escorter le plus rapidement jusqu’au poste de secours (ou de le refiler à un autre membre de sécurité mais pas à Zéphyr) afin de pouvoir revenir le plus rapidement possible au mariage.

Bien entendu, si l’enlèvement venait à arriver pendant le trajet, il lâcherait le diffuseur de weed pour agir. Il avait des priorités.

Le syndrome de Murphy avait été satisfait par les invités de Law. À peine Hitlard avait-il commencé à pleurer son Voyageur que Sento se mettait à attaquer des slides qui n’avaient rien demandé et à menacer le marié. Edgar avisa le garde Poquelin, l’un des membres de la surveillance qui ne semblait pas décidé à intervenir. Sauf qu’une main empoigna fermement son poignet tandis que Léo se penchait vers lui.

—Ah bah tiens, regardez ! Il n’est pas mort ! s’exclama le morpheur félin à l’attention de tout le monde.

Ce faisant, il rata la première réplique du Voyageur mais pas les suivantes. Bon, il avait l’air d’être aux portes de l’agonie mais, surtout, il avait l’air d’un mec qui joue l’agonie. Amateur de films et ayant au moins vu deux ou trois fois les films cultes comme The Mask ou Pulp Fiction, Edgar ne mit pas beaucoup de temps pour comprendre où Léo voulait en venir. Cependant, il n’applaudit pas la performance, se contentant de se frapper le front avec la paume de sa main tandis qu’un tonnerre d’applaudissements récompensait le « Mister Ambiance » de la cérémonie.

Edgar s’approcha du « Poquelin ».

—Bonjour collègue. Au lieu d’applaudir, pourrais-tu l’amener aux équipes de secours ? Merci.

On sentait le zeste de reproche dans la voix. Edgar poussa Léo dans les bras du type avec autant de rapidité qu’un manager refile un travail désagréable à un stagiaire.

—Bonjour collègue. Au lieu d’applaudir, pourrais-tu l’amener aux équipes de secours ? Merci.

Edgar s’approcha à grandes enjambées de Law Legato et des principaux perturbateurs. Il sentait que l’atmosphère était à couper au couteau et l’air chargé en testostérone mal dissimulée.

—Seigneur de la guerre, je comprends votre colère. Il n’y a pas encore eu de mort mais il nous faut respecter la tradition. Je pourrais par exemple vous donner l’une de mes vies mais ce n’est pas ce que vous voulez, n’est-ce pas ? Vous voulez du sang ! De la violence ! Un déluge de coups à s’en mettre plein la vue ! Un niveau technique et stratégique que rarement vu à Dreamland ! Obtiendrez-vous ça en vous en prenant de manière gratuite à l’un des invités de base ? Non et, encore une fois, je comprends votre colère. Cependant, j’ai une idée !

Edgar regarda tour à tour les invités les plus puissants, puis Law Legato.

—Un événement en deux parties qui permettra de valider des traditions tout en divertissant les mariés. Tout d’abord, un tournoi qui opposera les seigneurs, où les combats ne s’arrêteront qu’à l’abandon ou la mort d’un des deux adversaires. Du jamais vu, en somme, et si des Voyageurs de renom veulent s’y mêler, ils le pourraient également. Bien sûr, la récompense du tournoi restera à la discrétion des mariés.

Le Voyageur laissa les invités assimiler ses propos et se visualiser grand gagnant d’un tournoi entre seigneurs. Il espérait ne pas prendre une très mauvaise initiative et que Law ne verrait pas d’un mauvais œil qu’un tournoi égaye son mariage. Après tout, n’y en avait-il pas pour les mariages des grands pontes du Moyen Âge ? En vrai, Edgar n’en était pas certain. Une voix se fit entendre.

— Et le second temps, alors ?

— Dans un second temps, l’un des invités va enlever la mariée et l’objectif sera de la récupérer et de la ramener à Law. Ce sera l’occasion de montrer que les Rois et Seigneurs de Dreamland n’ont pas d’égal quand il s’agit de récupérer l’un des leurs. En somme, deux événements qui nous montreront, à nous autres Voyageurs et simples créatures de Dreamland, le gouffre qui nous sépare de vous. Mais, bien entendu, ce n’est qu’une proposition à valider ou nier par les mariés.

Edgar se tourna vers les mariés, en quête de soutien. Allait-il leur faire le regard du chat de Shrek ? Non, ce n’était pas dans sa personnalité.