Je serais le roi des pirates, tel est mon Nindô

J’me suis mise à la série Vikings sur Netflix. J’ai bien aimé, y a des choses qui me rappellent mon quotidien à Dreamland. Il y a des guerrières comme Lagertha qui n’ont pas peur de finir recouvertes de sang et c’est la première fois que je peux m’identifier à un personnage qui ne soit pas masculin.

Forcément, ça m’a donné des idées. Moi aussi, j’ai eu envie de naviguer vers l’Ouest afin de casser du cureton et de récupérer des trésors, de tout ravager et piller en espérant que les dieux me regardent et m’accordent une place au Valhalla. C’est donc tout naturellement que je me suis retrouvée, à Dreamland, sur le pont d’un drakkar.

Il y avait cependant quelques différences avec la série Netflix. Déjà, les loubards étaient plutôt dégueulasses, moches et édentés. Ensuite, ils n'avaient pas l’air très futés et puis il n’y avait pas de femmes. Pas une seule. C’est donc tout naturellement qu’ils m’ont regardé comme s’ils n’avaient pas mangé depuis des jours et qu’un bout de viande venait d’apparaître sur leur pont. Était-ce le fait que je sois en bikini ?

La fuite n’étant pas envisageable, je décidais de m’orienter vers une solution Netflix, incohérente donc imprévisible.

— Continuez de me regarder comme ça et je donnerai vos tripes à manger aux corbeaux d’Odin.
— Tu es une Voyageuse, fit un Viking particulièrement massif et velu. Combien d’Essence de Vie penses-tu que ton seigneur accepterait de payer comme rançon ?

Les autres s’étaient tus et observaient celui qui semblait parler en son nom. J’éructai avant de cracher un énorme mollard sur le sol.

— Voilà tout ce que tu recevras comme paiement de mon seigneur. Je suis Magertha la Valkyrie et je te défie en combat singulier. Si tu refuses, le déshonneur te frappera toi et ta descendance et Odin te refusera les portes du Valhalla.
— Le plus grand déshonneur serait d’accepter une demande de duel d’une femme en sous-vêtements, qui utiliserait certainement son pouvoir pour tricher.
— Un combat singulier à mains nues où je n’utiliserai pas mon pouvoir. Comme tu peux le voir, je ne cache ni armure, ni arme. De quoi as-tu peur?

Il avait l’air plus rusé que le Viking moyen, et particulièrement méfiant. Il n’avait pas survécu à tant d’hivers et de batailles en mettant seulement ses muscles à contribution. Cependant, il devait avoir conscience que sa réputation de chef ne resterait pas intacte après cette altercation. S’il refusait mon invitation, il pourrait très facilement me faire tuer mais risquerait de perdre le respect de ses hommes, surtout qu’un grand nombre d’entre-eux semblait persuadé d’être capable de me vaincre en combat singulier, peut-être à raison.

Non, il lui fallait accepter mon invitation et me battre à plates coutures. Et c’est ce qu’il fit.

Les vikings firent un cercle autour de nous et se mirent à scander le nom de leur chef, qui s’appelait donc Harald. Mon adversaire avait une sorte d’armure de cuir, là où j’étais à moitié nue. J’aurais donc l’avantage sur la mobilité et lui sur la résistance. En plus, il est trop grand pour que je puisse le frapper au visage, la partie la plus tendre qui est à ma portée, c’est sa trachée non protégée.

Je fonce sur lui, je fais mine d’armer mon coude pour frapper son torse protégé, il tente de m’enlacer avec ses bras. Si cela arrive, je serais probablement morte. Je recule d’un bond. Il est plus vif que ce que je ne pensais. J’éructe un autre mollard et le crache au sol plutôt que dans sa gueule. J’ai dit que je n’utiliserai pas mon pouvoir. Mais j’ai une idée.

Je reviens à la charge et fais mine de glisser sur le sol détrempé. Enfin, “fais mine”, à la base je voulais faire semblant mais je suis vraiment à deux doigts de perdre totalement l’équilibre. Comme escompté, il profite de l’occasion et se jette sur moi, il veut en finir au plus vite avec ce simulacre de duel. Cela le perdra.

Je retrouve mon équilibre, fléchis sur mes jambes et pivote mon bassin tout en envoyant mon poing droit de toutes mes forces. Un peu comme un piquier qui souhaite arrêter la charge d’un sanglier en plantant sa lance dans le sol entre lui et la bête.

Ses bras ne rencontrent que du vide alors que mon poing rencontre sa gorge. La douleur irradie mon bras, mon poing ne pouvant continuer sa lancée puisqu’il a davantage de force cinétique que moi. C’est davantage sa gorge qui s’empale dans mon poing que l’inverse. Je vois ses yeux devenir blancs, je me recule d’un bond et le laisse s’effondrer au sol. Il lâche un profond râle, la gorge broyée, avant de mourir.

Je pose un pied sur son cadavre et jette un regard de défi aux Vikings qui restent interdits.

— Ne restez pas là les bras ballants et allez me chercher une armure convenable ainsi que des armes ! Ainsi que beaucoup d’alcool ! Nous allons fêter ma victoire puis mettre le cap sur la plage la plus proche afin d’en piller les trésors !

Au final, c’était un peu comme avec mon équipe de consultants. Il suffisait de parler d’alcool et d’argent pour les motiver à travailler. Je regardais l’horizon, le pied sur le cadavre de l’ancien chef tandis que l’air résonnait de la clameur des vikings.

— ALL HAIL MAGERTHA ! ALL HAIL MAGERTHA ! ALL HAIL MAGERTHA !

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Quelques heures plus tard, je vois un immense navire arrêté sur une plage, avec un pavillon à tête de mort et je demande à mes vikings d’aller le rejoindre. Car qui dit tête de mort dit pirate dit trésor.

— Préparez-vous les gars, on n’attaque pas de suite, on arrive en repérage. Mais à mon signal, nous leur ferons goûter le fer de nos haches et les plus valeureux d’entre-nous festoieront avec Odin lui-même !

Le drakkar percute le banc de sable avec une violence inouïe et certains vomissent. En même temps, le viking chargé des opérations était également celui qui avait fini deuxième à notre concours de boissons. Faudra éviter les beuveries avant les batailles à l’avenir.

À présent sur la terre ferme avec mes vikings, je m’approche de ce qui semble être un imposant capitaine pirate dragibus et deux Voyageurs.

— Salut les gars, je vais vous proposer un marché et vous allez voir comment qu’il est simple. Vous nous donnez toutes vos possessions et on vous laissera peut-être la vie sauve.

La partie avant de mon drakkar s’effondre sur le sable. Je le regarde, mes vikings le regardent, je regarde mes vikings, le navigateur me regarde, il blêmit. Drakkar 0, Alcool 1.

— Par possessions, nous entendons également votre navire.

J’attrape machinalement la casquette et le string du Voyageur. Il me semble l’avoir déjà vu à la S Fest.

— J’imagine qu’on peut appeler ça des possessions.

Je laisse le Voyageur filer, le vermisseau à l’air, et reporte mon attention sur son ami.

Celui-ci se présente, il s’appelle John, a l’air de tout juste sortir de la puberté, il est à la recherche d’un trésor et il veut que je leur prête main forte. Il ne me laisse pas le choix, soit je les rejoins en tant qu’alliée, soit je les affronte en tant qu’ennemie.

C’est qu’il ne manque pas de couilles, le morveux !

Et derrière, il me demande “mon petit nom”... Il m’a pris pour une mijaurée de seize piges ou quoi ?

— OK, très clair. Range ton sourire et prépare toi à te servir de tes poings car tu vas peut-être pas passer la soirée, fils.

Faut savoir les recadrer, ces mioches. J’ai jamais eu de gosses mais je pense que je ferais une bonne mère.

Quant au capitaine pirate, il n’a pas l’air d’avoir envie de me laisser son navire et commence à malmener mes hommes qui s’effondrent comme des dominos. Moi qui pensais que les Vikings étaient capables de boire et de se battre, je suis très très déçue. Et quand je suis déçue, ça a tendance à me mettre d’une humeur massacrante.

Mes (nombreux) ex peuvent en témoigner.

Je me tourne vers le capitaine qui vient de me donner du Madame, un sourire carnassier sur les lèvres.

— Vous avez raison, mon bon Monsieur. Ils étaient beaucoup plus résistants avant la troisième tournée, c’était peut-être une mauvaise idée de vider les cales de tout leur hydromel. Mais bon, je pense qu’il y a moyen de faire une pierre deux coups. Je vous propose de discuter affaire autour d’un bon rhum, vous et moi.

Je me tourne vers les vikings qui peinent à se relever.

— Les gars, vous m’avez déçu mais vous pouvez encore vous racheter auprès d’Odin et prouver votre valeur. Vous voyez cette demi-portion là-bas ? Il prétend que vous n’êtes que des boulets pour moi et me conseille de devenir son alliée. Alors que moi, je pense que l’alcool vous joue des tours mais que vous êtes tout de même capables de lui faire avaler ses tripes. Alors décollez-moi vos putains de culs mal lavés du sol et allez lui foutre la raclée qu’il mérite !

La dizaine de vikings encore en état de se battre jette un regard furibond en direction de John. Déjà qu’ils n’ont pas trop apprécié de se faire traiter de fiottes par le capitaine massif, là c’est la goutte d’hydromel qui fait déborder la chope. Heureusement, ils sont assez éméchés donc pas aussi dangereux qu’un seul viking surentraîné en pleine possession de ses moyens, mais je pense que j’aurais un peu de mal à me débarrasser d’eux. Si le morveux s’en sort bien, il fera effectivement un bon allié.

— On procède comment, vous m’invitez sur votre navire ? Votre histoire de trésor m’intéresse particulièrement, et mes hommes ainsi que mon drakkar n’ont pas résisté au concours de boisson que j’ai remporté. Erreur de débutante, je suppose, je ne suis chef viking que depuis ce soir.

Le capitaine m’invite dans ses appartements et me reçoit comme une véritable égale, avec un verre de très bon vin venu tout droit du royaume du feu. J’en bois une gorgée sans me soucier d’une éventuelle tentative d’empoisonnement, mon acide devrait pouvoir m’en protéger. Enfin, je l’espère.

Comme d’habitude, l’alcool se dissipe sous forme de vapeur mais une très jolie flamme verdâtre en forme de crâne sort de mes narines.

— Tiens, c’est nouveau. J’aime beaucoup ! Vous avez très bon goût, capitaine.

C’est plutôt agréable. La cabine est ni trop petite, ni trop grande, éclairée par une lanterne dont le cadre en réglisse se consume en même temps que l’espèce de mélasse noire en son sein.

Je l’écoute me parler du trésor qu’il recherche avec attention, bercée par la lueur vacillante de la flamme. L’éclat de ses pupilles brille. Cela me plaît beaucoup.

— Le maître ou la maîtresse de la mer noire sucrée ? Voilà une idée aussi alléchante que votre navire et vos manières. J’en suis ! Je vais aller à l’extérieur m’enquérir du reste de mon équipage afin qu’ils se rendent utile et vous aident à appareiller.

Je doute qu’il ait besoin de l’aide de mes hommes vu que son navire semble lui obéir mais c’est l’intention qui compte. Je pose le verre, quitte la cabine d’un pas leste, monte sur le pont et met mes mains en éventail autour de ma bouche.

Je n’ai même pas le temps de crier quoi que ce soit que je remarque que John vient de sauter sur le pont. Un coup d'œil sur la plage m’apprend qu’il n’a eu aucun mal à venir à bout de mes vikings.

— Je vois que tu t’es débarrassé de mes hommes sans le moindre problème, mes félicitations ! Tu avais raison, ce sont bel et bien des boulets.

Le capitaine apparaît et John lui demande où nous allons. La réponse ne se fait pas tarder : nous nous rendons sur un île constituée de canettes et gardée par de redoutables pirates.

— D’autres pirates ? Rien que de penser au futur bain de sang qui se prépare, j’en ai l’eau à la bouche. Pouvons-nous lever l’ancre sans plus tarder ?

Il reste encore quelques personnes sur la plage mais le nudiste ne m’inspire pas confiance.

C’est fou comme un dropkick peut changer le cours d’une soirée. Je m’imagine déjà sur un tas de pièces d’or en chocolat, avec le capitaine et son sucre d’orge, quand le pied d’un nudiste rencontre la mâchoire du capitaine et l'envoie par-dessus bord.

— Joli dropkick !

Je ne peux pas m’empêcher de commenter l’action. Loin de moi l’idée de sauter rejoindre le capitaine dans les eaux sucrées : s’il n’est pas capable de s’en sortir tout seul, il ne mérite pas mon admiration. Et maintenant, voilà que le nudiste déclare à une nouvelle venue que le navire est à elle, puis que tout le monde se tourne vers moi pour savoir si j’ai des talents de navigatrice.

— Déjà, j’ai l’impression que le navire obéissait au capitaine. Donc il n’est pas certain que… Attention !

Un cordage fait de réglisse venait de jeter sur le nudiste comme un anaconda. Partout autour de nous, des éléments du bâteau prenaient vie afin de nous attaquer. C’était un véritable cauchemar pour dentistes. Le gouvernail en canne à sucre s’était détaché et volait, menaçant, tandis les canons du navire se tournaient vers nous, prêts à nous canarder. Leurs mèches s’allumaient comme par magie, et j’esquivai en me jetant sur le côté une première salve.

— John, regarde par le bastingage si le capitaine est encore en vie. S’il a l’air de contrôler le navire, assomme-le et ramène-le. Quant aux autres, couvrez-moi pendant que je rejoins la cabine du capitaine. J’y ai repéré un objet qui est peut-être à l’origine de la vie qui anime le bâteau.

Gueuler ses directives tout en esquivant l’assaut d’une corde d’amarrage, d’un seau et d’un balai n’est pas chose aisée. Avant de me faire attaquer par certains objets du navire, j’ignorais même qu’on pouvait les trouver à bord.

Je finis tant bien que mal par parvenir à entrer dans la cabine du capitaine, dont la porte ne semble pas animée. Les objets à l’intérieur sont plus calmes, ce qui serait étrange si j’avais dit la vérité et si la source des pouvoirs du capitaine s’y trouvait.

Mais j’ai menti, je ne suis venu ici que pour une raison : siroter le très bon rhum du capitaine pendant que les autres zouaves règlent eux-même le pétrin dans lequel ils nous ont foutu.

Ah, ce que je peux être intelligente !