Reservoir Cats [PV Stefan]

Felina. Son immense tour qui dominait le royaume des chats, son palais royal, ses quatre temples et son marché Carotte. Ses chatons tout mignons qu’on croisait tous les pas, ses homme-lions qui vous jetaient un regard suspicieux lorsqu’ils remarquaient vos oreilles arrondies de Voyageurs. Felina. Ses rues tortueuses, ascendantes ou descendantes en fonction de si l’on s’approchait ou s’éloignait du centre de la butte sur laquelle était construite la ville. Felina. Une ville construite par les félins, pour des félins et qui avait des airs de Zamora. Du moins pour Céd qui était persuadé d’avoir repéré une dizaine de félins voleurs depuis qu’il avait mis le pied dans la ville.

Un voleur savait en reconnaître un autre.

— Bonjour monsieur le Voyageur, que diriez-vous d’une visite guidée de notre magnifique capitale contre une poignée d’Essence de Vie ?
— ...

Avançant vers sa destination, Céd ne semblait pas prêter attention à son entourage. Il jetait un regard morne aux maisons alentours, traînait des pieds, une maigre bourse maladroitement accrochée à la ceinture de son jean battait sa jambe en rythme. Elle contenait une vingtaine d’EV et servait de leurre à destination des éventuels voleurs présents dans la capitale. Les affaires personnelles du jeune homme était dissimulé dans son ventre, ou plutôt dans un trou de 5 cm de diamètre et d’une profondeur de 5 cm placé sur son abdomen et dissimulé par ses vêtements.

Aucune bosse ne laissait ainsi présager la présence d’une bourse davantage fournie.

Rue de la Fourrure Dorée… N°4, N°6, N°8, N°12… Où se trouve le N°10 ? Il doit se trouver dans une impasse, entre ses numéros adjacents. Décidément, le collectionneur est allergique aux curieux.

Contrairement à ce que son nom laissait supposer, la rue de la Fourrure Dorée ne faisait pas partie des rues les plus fréquentées, ni des mieux réputées de Felina. Elle faisait partie des principales artères d’un quartier résidentiel où les immeubles insalubres se disputaient avec de vieilles villas mal entretenus. Ce quartier de la vieille ville avait jadis été peuplé par des familles bourgeoises, avant que la démographie ne le transforme en un quartier plus marginal.

Les vols ne devaient pas y être rares et cela tombait bien : Cédric était là pour en commettre un. Mais son statut d’humain et de Voyageur faisait tâche, dans ce quartier où il n’y avait quasiment que des hommes-chats et de rares touristes pressés de retrouver leur chemin.

Céd était en impro totale et il n’en était pas fan. En temps normal, il se serait donné une semaine de plus avant de passer à l’action mais la guilde l’avait prévenu qu’il ne serait pas seul sur le coup. Le masque du Chat Cripant avait son lot d’admirateurs.

Le jeune homme serait totalement passé à côté de l’impasse qui menait à sa destination s’il n’avait pas cherché le N°10 de la rue de la Fourrure Dorée. Les haies qui jouxtaient le sentier n’avaient jamais connu la lame d’un jardinier, comme si l’objectif était de dévorer le chemin pour le soustraire aux regards d’éventuels curieux.

Céd s’y engouffra avec la flegme qui le caractérisait. Sans ralentir et d’un geste adroit, il glissa sous son tee-shirt pour retirer du trou de son ventre un carton d’invitation qu’il plaça adroitement dans la poche droite de son jean. La manoeuvre se déroula pendant qu’il passait tant bien que mal entre les ronces et les branches, si bien qu’elle ne fut pas perceptible par d’éventuels curieux.

Il marcha sur une bonne centaine de mètres avant d’arriver en vue d’une sorte de grand manoir en pierre, partiellement envahi par la mousse et les nids d’oiseaux. Devant la porte du porte, deux armoires à glace mi-homme mi-tigre semblaient monter la garde.

Céd ne ralentit pas et attendit qu’on l’invective.

— Bonjour Voyageur, vous venez pour l’exposition d’Angora Kandinsky ?
— Précisément.
— Votre nom ?
— Leonard Winston. Leonard avec un D comme Désagrément. Voici mon carton d’invitation.

C’était l’identité à travers laquelle Céd blanchissait une partie de l’argent gagné grâce à ses missions. Leonard Winston était un jeune Voyageur excentrique, contrôleur de fromage dont la seule capacité était de transformer n’importe quel fromage en gruyère, ce qui lui valait de faire partie des tréfonds de la ligue M. Il avait d’ailleurs fait fortune en investissant dans l’industrie fromagère de Dreamland.

Les yeux du DreamMag n’étaient pas dupes et les actions réalisées par Céd étaient attribuées à Céd. Cependant, Leonard Winston existait administrativement et peu de gens avaient fait le lien avec Céd, ce qui lui permettait d’agir sous couverture.

— Nous allons également devoir procéder à votre fouille, pour des raisons de sécurité.
— Bien sûr, allez-y. Vous ne trouverez pas grand chose, je ne prendrais pas le risque d’emporter un objet de valeur dans un quartier aussi mal famé de Felina.

Après une fouille corporelle en règle et quelques minutes de balade en compagnie des gorilles, Céd se retrouva dans une grande salle de réception à la lumière tamisée. Il y avait là une vingtaine d’invités, majoritairement des hommes-chats et femmes-chats. Céd reconnaissait les versions humanisés du British Shorthair, de l’Angora turc et du Maine Coon.

Il y avait également un groupe de personnel de sécurité, versions humanisés de félins plus gros tels que les tigres ou les panthères.

D’une démarche lente, Céd se dirigea vers le buffet afin de prendre un petit four. Le visage fermé, il donnait l’impression d’un ado qu’on avait traîné de force dans cette réception et qui ne s’y intéressait aucunement. Il jetait des regards aux autres invités mais son expression semblait plutôt vide, comme s’il était perdu dans ses pensées.

Il y a probablement d’autres voleurs dans cette salle mais il me faudrait plus d’éléments pour les identifier. Hormis le corridor par lequel je suis arrivé, il y a une issue de secours en cas d’incendie et elle est soigneusement gardée par deux gardes, ainsi que des toilettes situées à droite de la scène. Les félins sont nyctalopes donc plonger la salle dans le noir ne servirait à rien. Le masque ne fait pas partie de la quinzaine de pièces exposées sous verre, il sera certainement présenté par le maître des lieux lors de son discours, dans une demi-heure. Il doit donc se trouver dans une pièce à laquelle seul le maître des lieux a accès. Il y a d’ailleurs de très grandes chances que cette pièce soit reliée à la scène. Plan A : attendre qu’un voleur s’empare du masque pour le récupérer. Plan B : attendre que le maître de cérémonie présente le masque pour le lui voler. Pas envie d’attendre. Plan C : partir du postulat que le Saint des Saints se trouve bien derrière la scène et tenter d’ouvrir un passage depuis les toilettes. Plan D : depuis les toilettes, faire un tunnel qui mènerait idéalement au Saint des Saints. Plan E : tenter de repérer des voleurs afin de former une alliance avec eux, dans un premier temps, pour ensuite les doubler par la suite. Ahem. Plan A et B peuvent être faits plus tard. Plan D est une solution de repli énergivore. Plan E nécessite de se reposer sur les autres et c’est pas toujours une bonne idée. Va pour le plan C.

À peine son second petit-four avalé et sans avoir adressé la parole à personne, Céd se dirigea donc vers les toilettes. Il croisa le collectionneur qui en sortait et lui tendit la main.

— Bonsoir, Monsieur Kandinsky. Très bonne idée d’organiser cette réception afin de trouver des mécènes, je suis moi-même très intéressé par l’art même si je trouve beaucoup d’oeuvres barbantes.

Si je ne me suis pas trompé dans mes déductions, il va probablement se rendre derrière la scène en passant devant le cordon de sécurité et je risque de le croiser en faisant mon trou. J’ai parlé suffisamment fort pour que d’autres entendent, avec un peu de chance d’autres invités vont également l’aborder pour faire du lèche-bottisme et ainsi le ralentir. En attendant, j’espère qu’il va couper court à notre conversation, que je puisse me mettre au travail.

— Ce sera avec plaisir, Monsieur Kandinsky, lâcha Céd avant de s’engouffrer dans les toilettes.

Il ne pouvait pas se permettre de perdre du temps : si le collectionneur était ralenti, tant mieux. Sinon, il devait faire avec.

Aucune lumière rouge ? Parfait, il n’y a personne ici. Plan C1.

Céd commença à ouvrir les portes de toutes les toilettes, afin d’avoir accès au mur jouxtant l’arrière-salle qu’il devinait derrière la scène. L’idée était de placer un tout petit trou dans chaque mur, afin d’identifier le meilleur endroit où arriver, puis d’en faire un plus grand afin de s’y engouffrer.

C’est en ouvrant les portes qu’il découvrit le corps inerte du collectionneur, accompagné d’un désodorisant et de quelques gouttes de sang.

Je viens donc de serrer la main à un imposteur, le vrai collectionneur ne se serait pas embêté à cacher un intrus de la sorte. On a donc affaire à un changeforme qui travaille sans nettoyeur. Intéressant. Je pourrais le dénoncer pour créer une diversion mais ça ferait de moi un potentiel suspect. Sauf si je réveille le collectionneur et que je le soigne mais ça va prendre trop de temps. Quel travail d’amateur...

Céd fit un trou de la taille de son oeil dans le mur jouxtant la scène, près de l’angle formé avec le mur opposé à l’entrée.Il fallut bien cinquante centimètres de profondeur pour pouvoir voir quelque chose, le mur était composé de plâtre, de béton puis d’une épaisse couche d’un métal noirâtre. Il aurait fallu des explosifs plutôt puissants pour l’endommager.

Cela rassura le jeune homme : ce n’était pas juste une salle des collections mais un véritable coffre-fort. Et l’avantage avec les coffre-forts, c’est qu’on en gardait l’entrée, pas l’intérieur. Cependant, il y avait peut-être des caméras, il s’agirait donc d’être rapide.

Céd colla son oeil et vit un bout de salle plongé dans la pénombre, ainsi qu’un présentoir éclairé par en-dessous. Bingo ! Il fit un trou plus grand afin de pouvoir s’y glisser et se retrouva dans le Saint des Saints. La salle était plutôt grande, rempli d’une quantité astronomique de présentoirs et, plus important encore, il n’était pas seul.

Il y avait également le collectionneur.

Va pour plan E.

— Rebonjour, monsieur l’imposteur. C’est pas très propre ce que vous avez laissé dans les toilettes. Ne vous inquiétez pas, si je voulais vous dénoncer je l’aurais déjà fait. On s’occupe de faire sortir le masque d’ici et on avise ensuite ? Je peux nous créer une sortie de secours ou vous pouvez revenir sur vos pas en priant pour que Monsieur Kandinsky ne se réveille pas.

Céd avait passé sa tête par le trou mais la partie inférieure de son corps était toujours dans les toilettes. Il ne voulait pas prendre le risque d’être visible des caméras, dans le cas où il aurait à se reculer, refermer le trou et réveiller le collectionneur pour mettre l’imposteur dans l’embarras.

Un voleur professionnel ne laissait rien au hasard.

Imperturbable, Céd avait marqué un bref moment de silence puis avait continué d’exposer la situation. Cependant, le cri avait passé de 75% à 54% son envie de collaborer avec son vis-à-vis : il était beaucoup trop impressionnable pour faire un bon partenaire.

Lorsque l’imposteur se mit à se comporter comme Gollum et à délibérer tout seul, déclarant des inepties comme le fait qu’il n’était pas un voleur (no shit Sherlock) ou qu’il ne referait pas le coup du désodorisant, l’envie de travailler avec lui passa de 54% à 0%. Au moins, l’imposteur avait trouvé le masque qu’ils recherchaient tous les deux.

Pendant que Gollum était en plein dialogue intérieur, Céd s’était légèrement reculé tout en gardant sa tête visible afin de jeter un coup d’oeil sur sa droite et de créer un trou Bonny sur le mur encore intacte des toilettes.

— Avez-vous fini de réfléchir à voix haute, monsieur ? Je prends un peu du recul car vous êtes un brin inquiétant, déclara Céd lors d’un silence.

Cette tirade lui donna l’occasion de regarder son interlocuteur. Ou plutôt, légèrement sur sa droite puisqu’il créa le trou Clyde deux mètres plus loin, sur la vitrine du masque derrière l’imposteur. Il avait ainsi un trou de ver parfaitement rectiligne qui lui permettrait, en y plongeant son bras, de récupérer le masque. Il n’avait donc plus besoin du trou le plus gros.

D’ailleurs, l’homme-chat s’approchait de lui et lui tendit la main. Céd fit un pas en arrière, restant visible aux yeux de l’imposteur mais hors de portée de son bras. On ne vivait pas longtemps en tant que voleur à Dreamland si on serrait la paluche de n’importe qui.

L’imposteur lui proposa de discuter calmement (c’était clairement le moment idéal pour négocier) et Céd mit fin à la discussion en lui faisant le coup du tunnel, version Dreamland.

— Oh mince, je n’ai plus d’énergie. Désolé, le trou va se refer....

Et il se passa alors plusieurs éléments en même temps : le trou disparut, une explosion retentit et des cris se firent entendre de la salle de réception. Sans se laisser décontenancer, Céd passa la main dans son second trou (celui reliant le mur à sa droite à l’intérieur de la vitrine) et en sortit le masque tant convoité.

D’autres explosions retentirent.

Le vrai Monsieur Kandinsky, qui était resté aux pieds de Céd durant tout ce temps, se réveilla en sursaut pour découvrir le jeune Voyageur avec la pièce la plus inestimable de sa collection. Il y eut un petit moment de battement pendant que Céd glissait très rapidement le masque sous son tee-shirt, dans le trou de son abdomen (agrandi pour l’occasion) et le collectionneur se mit à gueuler, avant de se relever avec difficulté.

— M… Mon masque ?! Sécurité, sécurité !

Il ne savait probablement pas ce qu’il faisait là mais il n’avait pas besoin de reprendre totalement ses esprits pour penser à sa collection chérie. Quant à Céd, il reculait lentement vers la porte, cherchant un échappatoire.

La porte qui s’ouvrit à la volée, sur une sorte de gamin robotique en treillis militaire et avec un bandana d’acier, qui brandissait un poing métallique comme s’il s’agissait d’une grenade.

Céd avait déjà eu affaire avec lui : c’était une grenade. Il leva les mains en l’air.

— Sécurité, attrapez ce Voyageur, il a caché mon masque sous son tee-shirt !
— Salut Zhen, tu vas bien ? J’ai effectivement le masque sur moi.
— Donne-le moi ou je repeins les murs avec tes entrailles.

Il bluffe, s’il me fait exploser, il fait exploser le masque avec moi. Il le sait très bien sinon il m’aurait déjà balancé une grenade dessus. Ce n’est pas un causant, habituellement.

Céd se concentra et se prépara mentalement à taper le saut en hauteur et le sprint de sa vie.

— Tu m’en veux encore pour Fantasia ?

Il fit apparaître un trou de trois mètres de profondeur sous les pieds de Zhen et se mit à foncer vers lui. Zhen tomba au fond du trou et fut suffisamment surpris pour que le Voyageur puisse sauter par-dessus et emprunter la porte encore ouverte.

La salle de réception ne ressemblait plus à rien, une partie de l’étage s’était déjà effondré, ainsi que la toiture. C’était un miracle que les toilettes n’aient pas subi le même sort mais les murs blindés de la salle des collections y devaient être pour quelque chose.

Quelques corps de félidés ensanglantés témoignaient du peu de cas que Zhen et ses alliés avaient fait du service de sécurité. Les membres de la guilde de voleurs du “Baril de poudre” étaient connus pour leurs vols aussi brutaux qu’explosifs. Des invités pleuraient les corps inertes de leurs proches mais la plupart avaient déjà pris la fuite et devaient alerter le service d’ordre du royaume des chats.

Céd ne chercha pas à profiter du paysage et continua le sprint de sa vie vers la sortie. Il entendait les cris de rage de Zhen, qui mettrait aussi peu de temps pour sortir de son trou que pour finir d’exploser la bâtisse.

Il mit un maximum de distance entre le bâtiment et lui, reprit le chemin d’arrivée sans s’arrêter pour reprendre son souffle et pénétra dans la première ruelle qui s’offrait à lui. Il y avait quelques fenêtres et balcons au-dessus de lui mais personne n’y était appuyé. Il avait quelques minutes devant lui.

Après s’être assuré que personne n’était aux alentours, il sortit le masque afin de vérifier qu’il avait réussi sa mission avec brio. Dans toute cette agitation, il n’avait pas eu l’occasion de faire les vérifs habituelles.

Le front de Céd se plissa, ce qui était l’équivalent d’une crise cardiaque chez lui.

Il y avait un problème, un gros problème.

Le masque qu’on lui avait demandé de voler était un visage humain en bois qui souriait. Celui-ci était bien en bois mais représentait un singe .

Donc l’imposteur n’était pas face à la bonne vitrine et s’apprêtait à voler le mauvais masque ? Cool, cool, cool. Bon, tout n’est pas perdu, gardons notre calme. De tous les voleurs présents sur place, il y en a bien un qui mettra la main sur le bon masque. Je vais revenir sur mes pas et tenter de le leur voler. Mais d’abord, reprenons des forces.

Céd remit le masque dans son abdomen puis en sortit une barre Chatcolatée et une mini-brique de lait qu’il avait achetés dans une épicerie, plus tôt dans la nuit. Il se mit ensuite en marche vers le manoir partiellement effondré, sirotant la brique avec la paille fournie et grignotant la barre avec l’appétit d’un adolescent en pleine croissance.

Ch’était pas bien de mancher en marchant mais il n’avait pas le choix ch’il ne voulait pas rater chon coup.

Céd avait bien fait de reprendre de l’énergie en tirant sur sa paille. Il n’avait fait qu’une dizaine de pas que le sol se mit à trembler et qu’un homme plutôt grand et masqué qu’il n’avait jamais vu de sa vie débarquait devant lui. Poursuivi par une énorme statue, l’homme lui gueula de se mettre à courir.

Un problème après l’autre, la menace de la statue était imminente. De quoi effrayer un Baby mais ce n’était pas la première situation mortellement dangereuse que le jeune homme affrontait. Il fit apparaître un trou de taille humaine assez profond là où la statue allait poser son pied droit, la laissant s’enfoncer jusqu’aux parties intimes. L’énergie cinétique manqua de lui arracher sa jambe de pierre et la statue s’écroula avec un vacarme épouvantable. Des homme-lions se mirent à accourir tandis que des habitants paniqués se mettaient à crier qu’un contrôleur de pierre faisait des ravages dans le quartier.

— Au secours ! À l’aide ! Le monstre de pierre va me dévorer ! s’écria Céd, tout en s’éloignant de la statue partiellement effondrée qui tentait déjà de se relever.

Il était un comédien OK Tier, en plus d’être un ado. Il espérait que cela jouerait en sa faveur. Il se mit donc à courir sur les talons du mystérieux inconnu qui semblait le connaître afin de pouvoir observer son masque de plus près. S’agirait-il du masque qu’il recherchait ? Si c’était le cas, il ne servait à rien de revenir sur ses pas.

De plus, cet inconnu n’en était peut-être pas un puisqu’il n’avait pas encore vu la véritable apparence du changeforme. Cela valait donc le coup de vérifier.

Il finit par rattraper l’homme au masque, qui semblait s’être arrêté.

— Bonjour monsieur le masqué ! À tout hasard, vous ais-je déjà vu sous une autre apparence ?

S’il s’agissait bien du changeforme, Céd allait tenter de savoir s’il avait le masque et de trouver un arrangement. Sinon, Céd allait tenter de savoir s’il avait le masque et de trouver un arrangement. Dans tous les cas, Céd allait tenter de savoir s’il avait le masque et de trouver un arrangement. Parce que c’était son projet.

— Oui, c’est bien le masque que mon commanditaire m’a demandé de voler répondit Céd.

Il n’avait aucun intérêt à mentir et n’insulterait pas l’intelligence de son vis-à-vis en tentant de le duper. Il écouta la réponse de l’homme et fit l’impasse sur le “gamin” pour se concentrer sur les tenants et aboutissants du marché proposé. Apparemment, l’employeur ne comptait rien offrir au voleur en herbe qui lui faisait face. Voilà qui n’était ni très professionnel, ni très malin : comment espérer d’une personne qu’elle fasse bien son travail si on ne lui donnait pas de raisons de vouloir bien le faire ?

Mais bon, Céd n’avait pas de temps à réfléchir à l’absurdité du comportement de l’employeur de son interlocuteur.

— C’est un marché qui me semble honnête. Je travaille pour ma guilde, une guilde de voleurs de Zamora qui paie bien. Elle a été commanditée par quelqu’un du royaume des masques pour réaliser ce vol. Je ne peux pas t’en dire davantage, ni t’aider à rencontrer le commanditaire. Par contre, je peux te proposer de me rejoindre à Zamora, demain, avec le masque. Il te suffira de penser à moi. Tu pourras ainsi rencontrer ma guilde et aviser, je suis sûr que tes talents t’ouvriront de nombreuses portes. Prendre l’apparence de quelqu’un d’autre, ce n’est pas anodin. Si la guilde ne te protègera pas, elle pourra t’apprendre à te dissimuler et à tirer profit de tes talents pour échapper à tes ennemis. Qui que ça puisse être. Qu’en penses-tu ? demanda Céd.

Le jeune homme marqua une pause et fit apparaître un petit réseau de trous sur le sol, une sorte de labyrinthe trypophobique qui s’étendait sur un carreau d’un mètre sur un mètre.

— Je te préviens, cette proposition est à usage unique et, si tu la refuses, je récupérerai ce masque. Contrairement à toi, je n’agis pas sous la contrainte et je serais payé après avoir ramené ce masque. Je peux même aller jusqu’à partager une partie des gains avec toi, si tu rejoins la guilde. 70 pour moi, 30 pour toi.


Repartir sans le masque n’était pas envisageable pour Céd. Il avait une réputation à tenir et, à Dreamland, la réputation d’un voleur était aussi vacillante que la flamme d’une bougie. Les gens se rappelaient moins des cents vols que l’on avait réussi que du seul vol qu’on avait raté.